Versailles, Marie-Antoinette, ça fait rêver… Frances Vieras Blanc a créé une expérience immersive sur l’époque pour les touristes ! Elle nous raconte comment elle a créé Let them eat cake, une expérience proche du >LARP< et comment avec son équipe elles se sont réinventées face au confinement.

Quel est ton parcours ? Comment es-tu arrivée à l’immersif ?

Mon grand rêve c’était d’être dramaturge et star de Broadway ! Alors, j’ai étudié ce les performing art, le cinéma et travaillé en tant que scénariste, que ce soit dans le monde du spectacle, de la danse, du théâtre ou jeu. Lorsque j’étudiais à l’université à San Francisco, je faisais partie d’un collectif d’artiste qui créait des spectacles immersifs, même si ça n’avait pas ce nom à l’époque !

Puis après beaucoup de changement, ma venue à Paris et quelques créations burlesques plus tard, j’ai découvert l’Immersive Design Summit ! J’ai regardé leurs vidéos et ça a été la révélation ! J’avais enfin trouvé une étiquette, un mot et une communauté pour ce que je voulais faire.

A savoir, créer des expériences immersives ?

Exactement ! Je voulais une dimension de spectacle et d’interaction. J’ai voulu me lancer, et la première idée que j’avais eue était un « bar aux expériences immersives », avec 2-3 expériences qui tournent. J’ai participé à des coachings, pour approfondir l’idée : c’était bien, mais même au niveau du concept, ça paraissait beaucoup trop cher à créer ! Il fallait réfléchir à d’autres expériences. Comme j’ai aussi un peu travaillé dans le tourisme et que je suis américaine, j’ai pensé pouvoir créer une expérience juste pour les touristes américains qui viennent à Paris, pour leur proposer un format unique.

Quelle est cette expérience ? Peux-tu nous présenter Let them eat cake ?

C’est une expérience qui nous plonge à l’époque de Marie-Antoinette et de Louis XVI ! Les participants viennent, incarnent un personnage de la cour, proche du roi et de la reine et ça se passe juste après la prise de la Bastille. Au début c’est une fête, on parle beaucoup de la révolution, mais personne n’y croit vraiment sauf le marquis de Lafayette. On apprend alors que la Bastille a été prise, et tout le monde commence à s’inquiéter… On trouve un pamphlet de révolutionnaires, avec la liste des personnes à tuer, c’est-à-dire tous les nobles… toutes les personnes présentes sur cette liste sont à cette fête !

Il faut s’enfuir ! A l’époque, de nombreux nobles se sont échappés à l’étranger. Cette fuite marque la sortie de l’expérience.

En quoi Let them eat cake est différente pour les touristes ?

Quand je faisais des visites guidées à Paris, les touristes me disaient souvent « si seulement on pouvait voir comment c’était à l’époque ! ». Là, c’est le cas : ils sont vraiment plongés dans l’histoire !

Au moment de l’achat de leur billet, on leur attribue un personnage historique : « Vous êtes la duchesse de Savoie, vous êtes veuve, vous avez une fille, vous avez peur de perdre votre statut et vous voulez trouver un mari pour votre fille ». Cela leur permet déjà de s’approprier l’expérience.

Une fois sur place, ils sont habillés, maquillés comme à l’époque ! C’est un point clé pour l’expérience. Nous avons fait le choix de l’intégrer, même si cela rajoute un coût important : pour les participants, ce serait assez compliqué d’en trouver un en location même s’ils le voulaient ; ensuite, les costumes sont un facteur d’immersion très fort ! Ici nos participants incarnent des personnages de l’histoire, ça n’aurait pas de sens s’ils étaient en jean…

Il y a beaucoup de logistique avant et après l’expérience ! Comment avez-vous travaillé ces moments clé ?

Pour « l’avant expérience », il y a comme je le disais ce premier mail qui leur donne un rôle ; ils reçoivent après un autre message qui leur donne des indications sur l’étiquette de la cour. Cela permet à la fois de leur donner des éléments de repères (comment s’adresser au roi, etc.), mais c’est aussi un moyen détourné de leur donner les règles de l’expérience (pas de téléphone une fois qu’on entre dans la fête…).

L’entrée dans l’expérience est compliquée ! Les costumes en particulier sont toute une organisation : nous devons en avoir assez, pour plusieurs morphologies… Nous avons prévu trois sessions d’habillage. Les VIP arrivent les premiers, et cette première demi-heure de préparation fait déjà partie de l’expérience. Leur valet et femme de chambre les habillent, ils entendent des rumeurs sur la cour, les ragots, la révolution… C’est aussi « l’instagram moment » parce qu’on sait que c’est important de pouvoir repartir avec une belle photo de soi dans cette tenue ! C’est le dernier moment où le téléphone est autorisé. Pendant que les participants suivants se préparent, ils entrent dans une fête : il y a un spectacle lyrique, un bal où ils apprennent des chorégraphies et un jeu de carte. Quand les 24 participants sont prêts, la partie théâtrale à proprement parler commence.

Ensuite la question était comment bien finir l’expérience ? La sortie de la noblesse pour s’enfuir marque la sortie de l’expérience, mais nous ne pouvions pas les lâcher dans la nature aussi brutalement ! Nous avons donc créé un « sas » pour la fin : un moment de débriefing, pour partager son expérience, poser des questions, prendre un thé… et recevoir un goodie bag ! Dedans, il y a le thé que buvait Marie-Antoinette, ses macarons, ses chocolats… Cela fait un souvenir de l’expérience à garder avec soi.

On sait que trouver un modèle économique c’est très difficile pour des expériences immersives… Comment fais-tu ?

C’est effectivement un équilibre difficile à trouver ! L’expérience est coûteuse : il y a un acteur pour deux participants, de nombreux costumes d’époque à louer, une maquilleuse spécialisée, des perruques, la location d’un lieu qui fasse sens, au cœur de Paris ou à Versailles, une expérience au total pour les VIP qui dure 3h30… C’est financièrement lourd ! 

Mais le public est prêt à payer un prix pour ce genre d’expérience qui vous replonge dans une époque. Voyager s’accompagne souvent d’un budget conséquent, surtout pour une clientèle américaine dont Paris marque beaucoup l’imaginaire.  Pour le moment nos billets sont à 200$ pour des billets classiques et 250$ pour l’entrée VIP. A ce prix, en dehors de l’expérience les participants repartent aussi avec beaucoup de souvenirs et de produits que nos partenaires nous partagent. Les participants qui viennent ont envie d’acheter des souvenirs de Paris, de rapporter des cadeaux pour leurs amis, et ont prévu un budget à cet effet !

Avez-vous pensé à d’autres formats, plus abordables ?

Oui tout à fait ! Let them eat cake, c’est bien sûr l’expérience immersive qui dure 3h30, mais nous souhaitons créer une marque et un univers plus large. Je m’intéresse depuis longtemps au transmédia, et à comment on peut étendre un univers sur plusieurs plateformes, et la faire vivre différemment sur chacune de ces plateformes.

J’ai reproduit un format qui fonctionnait très bien lorsque je travaillais dans le burlesque : la « burlesque bachelorette party » ! Ce n’est pas réservé aux enterrements de vie de jeunes filles, mais ce sont les clientes principales. C’est une expérience qui dure deux heures, pour 4 à 10 participantes dans lesquelles elles sont préparées, coiffées, ont un mini-cours de maquillage, avec du champagne et des petits gâteaux… et qui finit avec une séance photo ! Les participantes en apprennent un peu plus sur Marie-Antoinette, qui elle était, son quotidien, l’époque, puis chacune choisit la noble qu’elle veut incarner. Il n’y a pas d’acteurs ni d’histoire, mais les participantes sont chouchoutées et ce sont elles les stars du moment !

Let them eat cake devait avoir ses premières représentations cet été… Avec le confinement, comment faites-vous ?

En effet, nous avions prévu de lancer l’expérience le 4 juillet pendant deux mois… Dès que le confinement a été annoncé, nous avons réfléchi à ce que nous pouvions faire en ligne. Après tout le travail que nous avions fourni pour créer notre univers, nos personnages, nous ne pouvions pas tout laisser tomber ! On ne voulait surtout pas tomber dans une déprime à cause des annulations de spectacles.

Notre premier réflexe a été de continuer notre démarche sur facebook et sur instagram pour faire connaitre la marque, mais nous nous sommes demandés comment aller plus loin. Et les « cocktails with the court » sont nés ! Ce sont des live de 30mn sur facebook avec des personnages de la cour. Les participants peuvent prendre un cocktail en ligne avec Louis XVI, Marie-Antoinette, le marquis de Lafayette… ou des personnages que nous avons inventés, comme Angélique de Potin, qui connait un bon succès !

On invente et on teste des formats au fur et à mesure : on a rajouté un bingo parce qu’on a vu que ça circulait beaucoup. Nous allons tester un format légèrement différent avec deux personnes : un personnage, et une autre personne qui s’occupe de traiter les questions, les lire pour faciliter le travail de l’acteur.

Qui participe à ces cocktails ?

Notre communauté qui se constitue petit à petit ! La majorité est à Paris, que ce soient des américains ou des Français qui parlent bien anglais, et des gens aux Etats-Unis. Nos cocktails sont à 18h heure française, midi sur la côte est et 9h sur la côte ouest. Il y a même eu un « date » en ligne avec deux personnes à distance qui sont venues assister virtuellement à notre évènement !

As-tu d’autres projets « spécial confinement » autour de Let them eat cake ?

Oui, nous en avons deux, sur lesquels nous travaillons en ce moment : une expérience en ligne sur Airbnb, et une « aventure dont vous êtes le héros », également en ligne.

Comment perçois-tu cette période très étrange ?

Forcément, c’est difficile, parce que nous avions enfin trouvé le lieu parfait : la perle rare, en plein centre de Paris, qui rentrait dans nos frais, avec l’esprit qui collait parfaitement à notre expérience. Toute l’équipe était sur les starting blocks ! Désormais, on doit totalement pivoter. Après un an de conception, c’est dur !

Mais on garde notre esprit positif et créatif, pour trouver des alternatives. Comme beaucoup, nous explorons les créations artistiques à distance. En ce moment je teste toutes les expériences à distance possible que je vois passer ! Il y a tout un champ à explorer : c’est à la fois une nouvelle contrainte artistique qui peut être source de créativité, mais aussi une nécessité pour l’ensemble des artistes. Malheureusement le monde des arts va être très durement impacté. Nous avons besoin de trouver des nouveaux modèles viables, et c’est un véritable challenge.

Quelles sont les principales difficultés pour la création d’œuvres « à distance » ?

Il y a une première dimension « technique », qui est « comment créer une expérience derrière un écran ? ». Ca c’est la partie créative ! Mais l’autre grand sujet, c’est comment réussir à monétiser tout ce travail. Personne n’est prêt à payer la même chose pour une expérience en physique que pour une expérience à distance, en un sens c’est normal. Déjà parce qu’il y a tellement de contenu gratuit sur internet. Ensuite parce qu’il n’y a pas les décors, on a une distance bien plus grande vis-à-vis des acteurs… Pourtant il y a bien un travail de conception, de design, d’acteur… Mais cette valeur là est très peu perçue par le public.

Donc je me demande vraiment comment parvenir à créer une pièce assez riche pour que le public soit prêt à payer ? Quel est le bon prix ? Ce sont d’autres questions qui vont prendre du temps à trouver des réponses…

L’équipe de Let them eat cake : Jen, Maddy, Elena et Frances

Merci Frances ! Et pour finir, si tu avais un dernier conseil à donner à partir de ton expérience de création ?

De bien s’entourer ! Nous formons une équipe formidable : Maddy vient de l’univers des jeux vidéos, Jen et Elena du théâtre.

On ne peut pas être expert de tout lorsqu’on crée une telle expérience immersive ! Il faut également trouver les bons partenaires : Nous travaillons avec le directeur historique de Versailles, une doctorante en musicologie de l’époque de Louis XVI, notre maquilleuse a déjà travaillé sur plusieurs projets du XVIIIème siècle…

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Cet article a 2 commentaires

  1. Béatrice Coffin

    Bravo Frances ! Je suis toujours aussi admirative de la clarté de ta pensée et de son expression. Je vous souhaite à toutes les quatre un grand succès , mérité 😊

  2. Blanc

    Félicitations pour ce projet, Frances , dynamique, pétillant.
    Je vous souhaite beaucoup de succès

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