Se lancer dans la création d’une expérience immersive, c’est une expérimentation. Il n’y a pas de formation dédiée, et finalement il faut souvent faire le plein de tests pour s’assurer que tout fonctionne. Dès lors, nous étions très curieux de rencontrer Sébastien et d’en savoir plus sur ce qu’est un bon playtest !
Peux-tu te présenter ?
S.O : Je suis un passionné de psychologie et de jeux ! Après un master en neurosciences, j’ai eu la chance de faire concorder ces deux passions chez Ubisoft. J’y travaillais au département recherche utilisateur pour organiser des sessions de tests des jeux en développement ! J’ai ensuite rejoint Labsterium, une des entreprises de conseil et de conception d’expériences ludiques innovantes leaders en France, notamment sur le créneau des Escape Games. J’étais responsable de création, et j’aidais l’équipe à positionner la stratégie d’innovation pour proposer des concepts qui allaient toujours plus loin. Et désormais, je me lance dans l’entrepreneuriat avec une volonté d’accompagner la conception ludique en indépendant, et en même temps je lance une activité d’hypnothérapeute !
Tu fais partie de ces personnes qui ont joué très tôt à plein de jeux non ?
S.O : oui ! J’ai découvert très tôt les jeux vidéo, vers 3 ans avec une console que vous ne connaissez probablement pas : la Vectrex ! (Effectivement, inconnue au bataillon). A 8 ans, j’aimais bien créer des petits jeux de société, avec de nouvelles règles. Et puis j’ai découvert les « livres dont vous êtes le héros », puis les jeux de rôles au collège, les murder party au lycée, etc.
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Ça a toujours accompagné ma vie. Aujourd’hui je continue de jouer à plein de choses différentes, j’adore découvrir (et analyser) de nouvelles mécaniques de jeu, ça enrichit ma culture et c’est important pour mon métier.
Et la psychologie c’est venu comment ?
S.O : de manière un peu plus progressive. J’ai toujours aimé savoir comment les choses fonctionnent. A l’école, j’adorais la biologie puisque tu creusais le vivant, tu apprenais comment fonctionne le monde qui t’entoure, c’était fascinant ! Et après des études de vétérinaire avortées, et un DUT informatique, je me suis dis que les neurosciences c’était ce que je voulais faire ! J’avais l’impression de pouvoir comprendre comment le cerveau humain fonctionnait, ça me passionnait !
Bon, en fait… on ne pourra jamais comprendre complètement comment fonctionne le cerveau humain. Mais au moins ça m’a mis sur les rails vers la recherche utilisateur avec des problématiques très concrètes. Par exemple comment la population est affectée par les odeurs d’une usine de déchets environnante.
Et à l’issue de ma formation, j’ai finalement intégré Ubisoft en stage qui avait monté un département sur la recherche utilisateur quelques années auparavant !
C’étaient probablement les prémices de la recherche utilisateur en France non ?
S.O : disons que la pratique n’était pas encore très développée au sein des entreprises ! Quand je suis arrivé chez Ubisoft en 2008, l’équipe était constituée de 6 personnes. En stage, mon rôle c’était de refondre les protocoles de tests avec une approche moins marketing, et plus scientifique.
Puis j’ai rapidement eu l’opportunité de prendre la responsabilité du laboratoire avec une équipe qui n’a cessé de grandir pour atteindre plus de 20 personnes. Nous travaillions sur des dizaines de jeux et d’expériences transverses avec à chaque fois l’envie de proposer les meilleurs tests possibles pour améliorer la qualité de l’expérience.
Est-ce que les jeux sont meilleurs depuis que l’utilisateur est pris en compte dans le processus de création et occupe une place centrale ?
S.O : haha, c’est un vieux débat ! Je pense que ce n’est pas la bonne question, puisqu’il y a eu de très bons jeux hier, aujourd’hui et probablement demain. Je pense surtout qu’un jeu avec une mauvaise expérience utilisateur va avoir plus de mal à trouver son public ! Respecter les règles de l’expérience utilisateur (ou UX) ne fait pas toute la qualité du jeu – mais le fait d’avoir un focus sur les futurs joueurs permet à des jeux de toucher une audience plus large et d’améliorer la fluidité globale et l’appréciation de l’expérience. Et c’est à ça que servent nos tests.
Justement, c’est quoi les secrets d’un bon playtest de jeux vidéo ?
S.O : Il n’y a pas de recettes miracles, mais disons qu’un playtest s’organise et qu’il convient de bien définir en amont certains points clés :
1. Définir l’objectif. C’est le « que veux-tu tester ? » : il faut prendre le temps d’identifier les hypothèses à proposer en test et s’y tenir pour ne pas aller dans tous les sens et se perdre.
2 . Monter le protocole de collecte de data. C’est le « comment va-t-on le tester » : il faut prendre le temps de se demander la meilleure manière de tester ces hypothèses. Par exemple, une pratique courante dans les jeux vidéo c’est d’installer des joueurs devant des consoles, avec très peu d’instructions pour observer les réactions à l’état brut. Nous étions invisibles ! Ça permet déjà d’observer si les joueurs prennent plaisir, si les objectifs du jeu sont atteignables, quand et où meurent-ils, etc. Puis on peut compléter ensuite par des informations plus déclaratives : focus group, questionnaires, etc. La difficulté est d’identifier et de limiter le plus possible les biais de déclaration ou de comportements dans le playtest.
3. Analyser les données : c’est le « comment apprendre de ce que tu as testé » : c’est un point charnière qui demande une grande rigueur scientifique au moment de la collecte pour éviter d’avoir des résultats biaisés ; d’autant plus que c’est très facile d’essayer de faire parler des chiffres pour se conforter dans ses hypothèses plutôt que de les analyser objectivement.
4. Rattacher ces apprentissages à la production. C’est le « que peut-on en tirer concrètement » : Il faut mobiliser cette analyse, l’utiliser pour faire des retours pertinents aux équipes de production et proposer de réelles solutions qui feront d’un jeu, un meilleur jeu. Si nos retours sont des constats du type « les joueurs ne comprennent pas ce qu’il faut faire à tel endroit », c’est bien, mais si nous donnons des pistes concrètes (et pertinentes) d’amélioration, c’est encore plus utile. Le playtest doit être utile in-fine pour améliorer la conception du produit finale.
A quel moment doit-on tester ? Y’a-t-il des moments clés pour un playtest ?
S.O : J’aurais tendance à dire le plus tôt possible. Mais le plus tôt possible c’est vaste et cela dépend du produit… Par exemple il est très difficile de tester des escape games en amont… mais je dirais simplement que la pire erreur serait d’attendre d’être « prêt pour les tests »… jusqu’à ce que le produit soit finalisé.
Dans les jeux vidéo, on faisait des « gyms » : les testeurs prenaient en main des personnages dans des niveaux conçus sur mesure pour les tests. Sans décor, sans histoire, sans texture, cela permettait simplement de savoir si la sensation de jeu était bonne, si les contrôles fonctionnaient.
Et bien sûr cela représente un travail supplémentaire en amont. Mais les équipes de production gagnaient au final un temps fou, car nous limitions les corrections à faire une fois que des millions de ligne de codes ont été écrites où la moindre modification est complexe et coûteuse. Mieux vaut donc investir dans un bon playtest en amont.
Est-ce que d’une certaine manière, le degré d’immersion est aujourd’hui une composante que l’on teste dans un jeu ?
S.O : l’immersion ? c’est un mot qu’on détestait ! Ce terme ne voulait rien dire pour nous. Nous nous concentrions sur la satisfaction du joueur à prendre en main les créations des studios. Le jeu va-t-il être mieux s’il est plus immersif ? Peut-être. Pas forcément. Parfois cette fameuse « immersion » se fait au détriment de l’affichage d’informations qui auraient été utiles au joueur. Ça peut être une intention de design assumée, qui peut plaire à des joueurs plus « hardcore », mais c’est parfois juste une mauvaise idée.
C’est, de plus, un mot qui regroupe beaucoup de concepts. De la création d’univers qui vont accompagner le joueur, au fait de vivre une fiction, et de projeter cette réalité fictive comme étant la nouvelle norme, en passant par la qualité des graphismes, le challenge, etc.
On y retrouve aussi des théories autour d’état de conscience modifiée, qui relève presque de la transe vidéoludique. La théorie du flow est intéressante dans la mesure où si un jeu propose le bon niveau de difficulté, alors on peut se retrouver happé par celui-ci.
Et puis l’immersion c’est un mot que l’on retrouve ailleurs. Dans les livres, au cinéma. Je dirais que la grosse différence, c’est qu’avec le jeu vidéo l’interaction te donne un feedback immédiat. Quand tu appuies sur un bouton il se passe un truc, et ça c’est magique ! Et ça favorise peut-être cette envie d’aller toujours plus loin. – Si vous voulez approfondir le sujet, n’hésitez pas à lire notre article sur les formes de l’immersion.
On partage ce sentiment ! L’immersion, vaste sujet ! Y’a-t-il cependant une expérience que tu as trouvé plus immersive qu’une autre et dans laquelle tu as vraiment touché du doigt le fait de te retrouver dans une réalité alternative ?
S.O : Question difficile… mais j’avoue l’avoir préparée avant l’interview ! Au début, j’ai pensé à la réalité virtuelle, aux escape games, et même au jeu vidéo. Mais en fait je crois que pour moi c’est vraiment le jeu de rôle grandeur nature !
Sur plusieurs jours, tu vis une expérience unique avec un environnement visuel et narratif ancré dans la réalité qui décuple les émotions. Chacun a une fiche personnage, des objectifs, et une volonté d’incarner quelqu’un pendant la durée de l’expérience. C’est un peu le « je vais être cette personne-là » qui n’est pas du tout moi… et ça va être trop bien ! Ce sont des moments mémorables qui constituent le propre de « l’escapism » au sens où l’on s’évade dans une fiction. On s’abandonne alors à cette nouvelle réalité !
Et pour en citer vraiment je dirais les jeux de rôle Harry Potter, notamment le Beauxbâtons – excellent !
Et donc tu es passé au fur et à mesure du testeur au concepteur, comment s’est réalisée cette transition ?
S.O : C’est assez facile en fait puisque le fonctionnement de ces deux rôles est assez complémentaire. De par mon caractère et mes expériences en playtest, j’ai une prédisposition à voir les choses qui ne fonctionnent pas. J’identifie assez bien les fameux « points d’amélioration » qui fatiguent tout le monde autour de moi ! C’est une aide très utile pendant les phases de User Research. Cela permet ensuite faire des recommandations d’amélioration sur des productions expérientielles.
C’est donc assez naturel de se lancer dans la création de nouvelles expériences ludiques, puisque ma sensibilité est là.
Ce qui nous amène naturellement sur tes nouveaux projets ! C’est quoi la suite de ton côté ?
S.O : effectivement, je viens de quitter Labsterium pour me lancer dans le grand bain de l’entrepreneuriat ! Chez Labsterium, nous avons vraiment réussi à mettre au point des expériences ludiques de haute qualité. La Lock Academy ou encore des puzzles à résoudre que l’on peut retrouver sur la chaine YouTube de Chris Ramsay sont de bons exemples. Bref on s’est vraiment amusé, mais je sentais qu’il fallait aussi que j’explore d’autres formes ludiques. J’avais envie d’accompagner des porteurs à mettre en place leurs idées, dans toute leur folle variété !
En parallèle j’ai complété ma formation en Hypnothérapie, un domaine qui me fascine depuis 20 ans ! J’avais un pote qui faisait des soirées de démonstration d’hypnose, et ça me travaillait, j’ai fait des recherches. Et on ne sait toujours pas comment ça fonctionne, mais ça fonctionne !
Aider les gens à trouver des solutions, ça a finalement toujours été mon rôle. Alors pourquoi ne pas s’orienter vers des usages plus thérapeutiques ?!

Un dernier conseil pour une bonne expérience utilisateur ?
S.O : Sur le playtest, faîtes appel à un professionnel. C’est un métier ! Sans ça, bien souvent le test n’apportera aucune valeur et sera biaisé – c’est seulement bon pour l’égo mais pas très rigoureux. Et puis gardez en tête que l’expérience que vous créez se fait pour un utilisateur. Au final, c’est lui(ou elle)qui aura toujours raison ! Il faut vraiment tenter de le comprendre et de concevoir pour cette personne ! Cela permettra de guider les choix artistiques, les interactions, et l’ensemble du processus créatif.
Merci Sebastien pour ces précisions sur le playtest et les expériences ludiques ! On aurait pu échanger des heures durant sur ce sujet – à tel point qu’on s’est demandé si on ne ferait pas une série d’articles sur les liens entre UX et Immersion !
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