Le monde est un mouvement constant de frontières qui s’érigent et se défont. The Under Presents : Tempest serait plutôt représentatif de ce second mouvement d’abolition des frontières. Basée sur la Tempête de Shakespeare, elle est une once du potentiel à venir de cette destruction créatrice qu’est la vague immersive qui déferlera tôt ou tard dans nos contrées.
Mais de quelles frontières parle-t-on au juste ?
Déjà, des frontières entre le réel et le virtuel. Pièce de théâtre se déroulant en ligne à l’aide d’un casque de Réalité Virtuelle, elle place mondes réels et virtuels sous le signe d’une cohabitation.
Puis de l’effacement de la frontière qui sépare arts vivants et technologies. Avec The Under Presents : Tempest, ce n’est plus une hérésie ou une prédiction que d’assister à d’excellentes pièces de théâtre en réalité virtuelle.
C’est aussi la fin d’une conception classique de ce qu’est un théâtre : nous avons participé à cette expérience immersive depuis notre salon.
Tender Claws se joue aussi de la frontière la frontière qui sépare le spectateur du participant puisque nous passons de l’un à l’autre en quelques secondes pendant la pièce. D’ailleurs même les paysages qui nous sont montrés dans l’expérience semblent infinis, sans frontières.
Mais décidément, passé ce mini-edito un peu bancal, que se cache-t-il derrière cette œuvre singulière ?
L’expérience

« Cher participant, il n’y aura pas de représentation de la Tempête ce soir ! »
Celui qui aurait dû jouer Prospero, héros principal de la pièce !
C’est ce que nous annonce d’entrée de jeune homme, courtois, plutôt drôle, absurde même, autour d’un feu de camp. Inutile de pester contre cette annonce, vous n’avez pas droit à la parole.
D’ailleurs, vous n’avez même plus réellement d’identité. Avec les autres participants (nous étions 4 au total mais l’expérience peut en accueillir 8 par salle),vous partagez une forme identique : un fusion impossible mais réussie entre les fantômes du voyage de Chihiro et le casque d’Iron Man.
Cela ne signifie pas pour autant que vous n’existez pas et que vous resterez les bras croisés.
Lorsqu’un participant le traverse par mégarde, notre fier Prospéro s’écrit : « Oups, attention là ! » en battant des bras – signe que nous ne sommes pas invisibles, et que notre corps et nos déplacements, faits et gestes sont de nouveaux modes d’expression.
Par ailleurs si la pièce est annulée, il ne faut pas s’y méprendre. Nous allons tout de même pouvoir la (re)découvrir ! Notre cher Prospero se propose de nous en partager les grandes parties. Et même de les rejouer. D’ailleurs : « qui veut jouer le capitaine ?! » lance-t-il comme pour débuter l’acte du naufrage !
« Le Freeeenchie » ? – me demande-t-il dans un accent français presque parfait mais moqueur (la pièce est en anglais). Je ris déjà.
Alors nous débutons cette première scène. Mais pas la dernière. Nous enchainerons les scènes à l’aide de notre guide protecteur pendant les 40 prochaines minutes – et cela reste entre nous, mais j’ai même joué Mélinda et je me suis marié.e à un certain Richard !
Paradoxalement, Tempest est un moment de déconnexion. Se retrouver autour d’un feu de camp, dans des graphismes en cel-shading, avec d’autres personnes, hors de cette période anxiogène, est très apaisant.
Un petit teaser pour vous donner une petite idée de ce à quoi ça ressemble vraiment The Under Presents : Tempest
Ce que l’on a aimé :
+Impossible n’est pas réalité virtuelle
La Tempête est probablement l’une des œuvres théâtrales les plus reprises. Difficile donc d’apporter sans cesse de la nouveauté et de l’originalité. Ici, l’utilisation de la réalité virtuelle s’avère très rafraichissante (malgré ces 38° du mois d’août !). D’une part elle nous donne le contrôle sur l’expérience que nous vivons. D’autre part, les représentations permises à l’écran, la taille des environnements, la direction artistique, nos formes et les possibilités d’actions tendent à rendre l’œuvre de Tender Claws singulière et totalement dans son temps. Nous sommes projetés dans un monde complétement fantasque, qui n’a pas sa place dans la vie réelle.

+Un parfait équilibre de spectateur participant
La réunion classique d’un art qui célèbre le spectateur avec une technologie qui donne la part belle au participant fonctionne à merveille. Nous alternons les deux rôles sans transition. Lorsque Prospero nous débite sa vision de l’histoire de tempête nous voilà spectateurs. Nous pouvons à n’importe quel moment contrôler nos déplacements, notre regard, et passer dans une posture plus active, mais en réalité c’est plus bien plus agréable de ne pas trop se mouvoir et d’écouter notre cher Prospero, inspiré, qui occupe très bien l’espace, et avec une excellente “présence” virtuelle.
A de nombreuses occasions, Prospero fait appel au groupe pour réaliser des actions et rejouer des scènes. Ce sont les moments ou nous devenons des “participants+”. Prospero fera les textes, et vous les mimerez à l’écran. C’est non seulement drôle mais on vient à développer une nouvelle appropriation des codes du langage par le mouvement.
L’équilibre des deux postures est juste et il nous est possible de choisir de entre un rôle plus en retrait ou une implication plus forte : pour rejouer les scènes, notre hôte nous demande souvent notre avis, et si aucuns soucis si l’on souhaite rester en retrait !

+Du personnel à l’intime collectif
L’œuvre est finalement assez personnelle. Avec simplicité, notre hôte ne manquera pas de donner un surnom à chacun (le fameux Frenchie 🙂 ). Surtout, il utilise de nombreuses expressions françaises pour m’interpeler. C’est trivial mais efficace. Elles sont parfaitement intégrées dans la narration et dans le ton dramatique employé. Le fait de pouvoir incarner des rôles tout en gardant un esprit de liberté pour explorer les mondes facilite un vécu personnel de l’expérience.
Plus l’expérience avance, plus se développe une relation intime entre nous et la pièce. Nous partageons des moments et l’expression des corps est puissante. Certaines envolées lyriques clament un message rassembleur et collectif, qui fait du bien en ces temps compliqués pour tout.e.s. C’est assez surprenant mais le fait de ne pas avoir de singularité (pour rappel, nous ne sommes que des ombres masquées) permet de rapidement développer de nouvelles relations avec les autres participants, et d’essayer de déchiffrer ce que pense l’autre participant au travers de ce masque d’or que nos avatars portent. C’est brillant et convaincant, d’autant plus que l’acteur de l’expérience est excellent.
+Un lobby plutôt amusant en début d’expérience
Avant de débuter la pièce, nous sommes téléportés dans un lobby qui fait office de porte d’entrée vers le monde de the Tempest. Il permet probablement d’attendre que tous les participants arrivent. Et vous aurez de quoi explorer ce monde. Nous n’en dirons pas plus !
Ce que nous avons moins aimé dans The Under Presents : Tempest :
–Je rêve que tout s’arrête
Allô, tu fais une expérience en réalité virtuelle d’une heure ? Soyons clairs, l’expérience ne devrait pas durer autant. Les casques accessibles au grand public sont trop lourds, ce qui rend l’expérience très inconfortable au bout d’un certain temps. Doublée d’une impossibilité de faire une pause, notre cerveau fatigue, bombardé par cette virtualité pendant tout ce temps. Vers la fin, je ne rêvais que d’une chose : « vite, termine-toi ! » L’opportunité technologique s’accompagne de contraintes techniques qui auraient dû être mieux appréhender, d’autant qu’elles sont suffisamment genântes pour nous empêcher de profiter de la pièce jusqu’au bout, dommage !
En conclusion
En somme, The Under Presents : Tempest est une œuvre parfaite par les temps qui courent. Nous vivons une tempête et nous avons besoin d’en voir une issue positive et collective. Si l’expérience n’a jamais déclenché un effet « Wow », elle réussit son pari de créer une balade qui se veut chaleureuse, humaine, très drôle et collective ; d’autant plus qu’elle s’accompagnera de marshmallows grillés, de tournants dramatiques, et de paysages ensoleillés.
Pour 15€, c’est une excellente raison d’utiliser ce casque de réalité virtuelle qui vous a couté une fortune et que vous n’utilisez que trop peu souvent ! Et une excellente occasion de traverser les frontières que vous n’auriez pas franchies jusqu’alors.
Pour en savoir plus sur l’expérience proposée par Tender Claws, rendez-vous par ici !
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