A Boston, nous avons rencontré Kellian Adams de Green Door Labs, qui collabore régulièrement avec Lizzie Stark, créatrice de jeux de rôle en grandeur nature. Kellian travaille principalement pour des musées et les aide à créer des jeux et des parcours interactifs. Ensemble, elles ont créé des expériences immersives mêlant jeu et théâtre !

Peux-tu présenter ton travail et comment tu en es arrivée aux expériences immersives ?

Avec plaisir ! A la base, je suis passionnée des jeux. C’est notamment la base de Green Door labs. On essaye de voir comment le jeu peut aider à améliorer l’expérience des musées par exemple. On peut créer de nouveaux parcours que ce soit pour améliorer leur image, attirer un nouveau public ou faire découvrir différemment leurs collections. J’ai ainsi créé une application assez simple pour faciliter la création de jeux mobiles pour des musées ou des écoles. Je travaille avec eux sur les objectifs de ce jeu puis sur celui-ci à proprement parler : les différentes étapes, les questions, etc.

A côté de cette activité, je conçois aussi des expériences immersives purement artistiques. J’ai créé par exemple Drosselmeyer, une sorte de soirée-cabaret et avec Lizzie nous avons créé Save the Mumbax. Actuellement nous travaillons sur Night Café, une création qui aura lieu fin juin.

Site Edventure builder
Une application pour faciliter la création de jeux mobiles pour les musées et les universités

Peux-tu nous en dire plus sur Drosselmeyer ?

C’est une série de soirées basée sur l’histoire de casse-noisette, que nous montons chaque année aux alentours de Noël depuis 5 ans. Lors de la première édition, l’histoire se passait en 1939, l’année suivante en 1940 et ainsi de suite.

C’est une soirée type cabaret où on trouve un peu de tout : concerts, des spectacles de danse, de la magie, de spectacles d’acrobatie, des jeux… autour d’un fil narratif : Herr Drosselmeyer et sa nièce Clara travaillent sur le projet secret défense « Casse-Noisette ». Le grand Rat qui veut la destruction du monde (en 1939, une idée de qui cela pourrait-être ?!) cherche à mettre la main sur le Casse-noisette. On passe un super moment pendant la soirée, mais si on y réfléchit un peu, on se rend compte qu’en 1939 on pouvait, à l’aube de la 2nde guerre mondiale, être totalement aveugle à la situation politique et à ses dérives ! Le contexte fait aussi volontairement écho à la montée des extrêmes que nous connaissons aujourd’hui, en particulier avec l’élection de Trump.

Le Club Drosselmeyer propose à la fois des spectacles, de moments de danse ou des jeux cachés

Tu travailles souvent sur des doubles interprétations comme celles-ci ?

Oui puisque nous voulons faire passer des messages mais nous ne voulons pas restreindre le public ni l’audience. La métaphore est donc utile.

Personnellement, je crois beaucoup au « media virus », ou à impulser des changements de société en normalisant une situation. Par exemple la série Will and Grace dans les années 90 a rendu très familier la figure du meilleur ami gay. Ce n’est pas une revendication pour une reconnaissance, c’est juste là dans la série…

Ainsi, le pas de côté pour une œuvre permet de traiter des sujets de fond de manière indirecte. Si pendant le temps d’une pièce immersive, les participants sont pro-actifs pour combattre une figure maléfique, le grand Rat, alors qu’il est très puissant, je crois qu’en sortant de la soirée, les participants peuvent se sentir plus capables d’agir selon leurs convictions. Aujourd’hui on sent du défaitisme, face à Trump, au racisme ou au réchauffement climatique par exemple. Je ne veux pas créer des œuvres défaitistes, mais redonner de l’énergie !

Ces doubles interprétations donnent des exemples et des idées d’engagements !

Exactement ! Dans notre soirée Save the Mumbax, les joueurs étaient plongés dans un univers magique, inspiré du seigneur des anneaux ou d’Harry Potter. Le but de la soirée était de sauver une créature magique de l’extinction, le Mumbax. En réalité, nous rendions hommage à Mrs. Harriet Hemenway et sa cousine Minna Hall, qui ont lutté à la fin du XIX contre la chasse des oiseaux rares pris pour cibles afin de créer… des chapeaux ! Les oiseaux disparaissaient au nom de la mode. Grâce à leur association, elle ont développé une plus grand protection de ces oiseaux. Ici aussi, le sujet “vitrine” de l’expérience est un jeu dans un monde fantastique, mais l’idée est de prendre action, ne serait-ce que le temps d’une soirée, pour la protection des animaux. Et comme on s’appuie sur une histoire vraie, on montre que des résultats tangibles sont possibles !

Save the mumbax
Kellian et Lizzie à la soirée Save the Mumbax

Et cela permet aussi à ce que tout le monde y trouve son compte… Tous les participants jouent-ils le jeu ?

Dans Drosselmeyer, chacun peut venir pour ce qu’il souhaite vivre. Certaines personnes viennent juste pour voir les spectacles, boire des bons cocktails et passer du bon temps. Il savent vaguement qu’il y a une histoire cachée derrière tout ça mais cela ne les intéresse pas et c’est très bien comme ça !

D’autres au contraire sont à fond, vont vouloir résoudre toutes les énigmes, se mettre en équipe pour se répartir les tâches. Il y a des bons groupes qui se font entre introvertis et extravertis : ceux qui veulent résoudre des énigmes de geek dans le coin, les autres qui vont chercher les indices en parlant à tous les acteurs ! On a ouvert le champ des possibles, avec tous les niveaux d’engagement et d’interaction, et s’assurer que personne n’ait la sensation d’avoir raté une partie de l’expérience : chacun vit la soirée comme il l’entend, et il n’y a pas « une » bonne façon de la vivre.

On peut donc choisir de s’amuser, de suivre une histoire, ou de siroter un cocktail tranquillement… Mais est-ce que le jeu et la narration n’entrent pas en conflit à un moment ?

Pas du tout ! A mon avis, c’est difficile de faire des créations immersives qui vont trouver cet équilibre entre jeu et histoire pour ceux qui ont une approche purement narrative (comme des metteurs en scène de théâtre classique ou des réalisateurs). Il faut accepter que le spectateur soit libre de regarder où il veut et de faire ce dont il a envie. Si on pense « jeu » avec un parcours fermé et pré-défini, il y a une tension difficile !

Au contraire, je crois beaucoup à une approche qui donne un contexte et des objectifs, et ensuite… roule ma poule ! Après, on revient sur la question du public pour lequel on crée : dans les communautés LARPs, les participants sont habitués à être livrés à eux-mêmes, à être pro-actifs et se créer leur propre histoire. Pour une famille ou des amis qui n’ont jamais fait ça, il faut donner des points d’étapes et des objectifs plus clairs.

Save the mumbax
Save the Mumbax a de nombreuses énigmes !

Créer des œuvres immersives c’est bien, en vivre c’est mieux ! Le pari financier est-il atteint ? 

Le risque majeur pour monter un projet d’une telle ampleur, c’est de s’assurer qu’il y aura assez de tickets vendus et qu’on sera au moins à l’équilibre. Pour ma part, je connais assez bien plusieurs milieux très spécifiques à Boston : celui du swing, des fans d’escape game ou de puzzle et la communauté vintage. Je savais à peu près combien chacune de ces communautés était prête à payer pour une bonne soirée. J’ai donc fait en sorte que chacun y trouve ce qu’il aime, et à calibrer les prix des entrées !

Le réseau est aussi très puissant pour donner des coups de main lors de la création. Si j’ai besoin d’une compétence particulière ou même d’accessoires étranges, je fais une demande autour de mon réseau et souvent je trouve ! Pour Night café par exemple j’avais besoin d’un mini-dôme, et j’ai réussi à en trouver un comme ça.

L’aspect série est aussi intéressant. Les gens peuvent suivre un même fil narratif d’années en années et s’ils ont aimés un univers, ils sont plus enclins à revenir l’année d’après, et de faire venir des proches qui en premier lieu n’auraient pas été intéressés.

Le jeu mobile murder at the Met
La soirée Murder at the Met, un cluedo géant pour les adolescents dans le célèbre musée New Yorkais

Dernière question, les expériences c’est un vaste monde, qu’est-ce qui fera la différence selon toi entre les créations ?

Le multivers ! C’est clairement ce qui me fait travailler le cerveau. Comment créer des univers parallèles qui soient cohérents pendant une même soirée. Par exemple pour Drosselmeyer, si une seule personne sur les 150 participants donne la clé de Casse-noisette au Rat, est-ce que le jeu s’arrête pour tout le monde en même temps ? Est-ce que la saison d’après repart de cette fin-là ? C’est toute la difficulté des univers ouverts ! Comment trouver le bon équilibre entre la cohérence de l’univers et s’assurer que personne ne se sente lésé ?

Un grand merci à Kellian et Lizzie ! Nous n’avons pas pu assister à l’une de leurs œuvres, mais si vous êtes à Boston aux alentours de Noël, prenez votre place pour le cabaret !

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